lundi 4 juillet 2011

Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan -Rentrée littéraire 2011



Première sélection du Prix Goncourt 2011

Prix Roman FNAC
Prix Renaudot des Lycéens
Prix des Lectrices Elle



Quelques précisions sur le roman: Deux ans après le suicide de sa mère, l'auteur entreprend ce récit autobiographique sur la vie de sa mère. Le titre Rien ne s'oppose à la nuit est emprunté à la chanson Osez Joséphine ( pour écouter la chanson sur Deezer clic droit sur le lien ) d'Alain Bashung, chanteur que Delphine de Vigan écoute depuis toujours. Il est suivi de la mention Roman. Dans des propos recueillis par Julien Bisson pour le magazine Lire de septembre, elle précise que sa mère " à partir de sa mort, s'est imposée comme un sujet à part entière et surtout comme un sujet qui ne passerait pas par le travestissement systématique de la fiction". Puis la lecture de Lambeaux, roman de Charles Juliet sur ses deux mères lui permet de comprendre " quel magnifique hommage pouvait être un roman quand son objectif n'est pas de régler des comptes mais d'approcher une vérité. "Composé de trois parties, sobrement intitulées: Première partie, deuxième partie, troisième partie, ce roman de 436 pages est précédé d'une longue citation du peintre Pierre Soulages : ( pour voir quelques œuvres clic droit sur ce lien vers l'article intitulé " Éloge de l'art " extrait du blog d'Alain Truong )
"Un jour je peignais, le noir avait envahi toute la surface de la toile, sans formes, sans contrastes, sans transparences.
Dans cet extrême j'ai vu en quelque sorte la négation du noir.
Les différences de textures réfléchissaient plus ou moins faiblement la lumière et du sombre émanait une clarté, une lumière picturale, dont le pouvoir émotionnel particulier animait mon désir de peindre.
Mon instrument n'était plus le noir, mais cette lumière secrète venue du noir."
 Le roman raconte donc sa mère depuis son enfance dans cette famille qui " illustre comme tant d'autres familles, le pouvoir de destruction du verbe, et celui du silence " ( les citations du paragraphe sont  de l'auteur dans Rien ne s'oppose à la nuit ) . Le projet est donc d'écrire aussi pour cesser de "contenir le chagrin, le ficeler, l'étouffer, le faire taire " et aussi de " donner à lire sa famille  dans ce qu'elle avait de plus joyeux, cette vitalité bruyante et excessive qui l'animait, cette manière puissante de lutter contre le drame. "
Ce beau roman,  raconte donc la vérité  de l'auteur sur sa  famille et "sa mythologie", la manière qu'elle a de se mettre en scène pour eux même et pour les autres. Ce récit début pendant les années 40 où Georges  le grand-père rencontre Liane  la grand-mère et se poursuit jusqu'à nos jours au travers l'histoire de cette fratrie bourgeoise de neuf enfants: Lucile ( la mère de l'auteur ), Barthélemy, Antonin, Jean-Marc, Milo, Justine, Violette, Tom. . A propos d'un reportage documentaire consacré aux rapports entre parents et adolescents réalisé sur sa famille en 1968 et diffusé à l'ORTF, l'auteur écrit " on est au cœur du mythe. Le film est à l'image de la légende que Liane et Georges écrivent à mesure qu'ils la construisent, comme nous le faisons tous de nos propres vies...le film reflète sans doute la représentation qu'ils ont d'eux-mêmes, dont ils ont besoin pour continuer...après les vaches maigres de la rue de Maubeuge, et tant que l'agence de Georges marche bien... ils jouent aux bourgeois...pourtant, dans cette manière d'être, quelque chose, toujours, échappe à la convention. C'est leur force, je le crois, et cela prédomine dans le souvenir que j'ai gardé d'eux". 

Avis: Voici un roman âpre est impossible, particulièrement bien mené. L'auteur raconte sa difficulté d'écriture. " Ma démarche actuelle me semble à la fois plus  périlleuse et  plus vaine. Aujourd'hui, il  arrive  toujours un moment où les outils me tombent des mains, où la reconstruction m'échappe, parce que  je cherche une vérité qui se situe au-delà de moi, qui est hors de ma portée. " Il lui  faut aussi livrer bataille contre sa propre émotion et garder le cap et la tête froid pour passer outre la peur de l'effet que pourrait produire cette publication et le malaise que suscite cette plongée dans  les souvenirs des membres de sa famille:  sœur, oncles, tantes qu'elle met à contribution pour construire le matériau de son roman., pour combler les manques, entendre leurs vérités, mener à bien son enquête en quelque sort. La mis en œuvre de ce travail est constitutif du roman , à la fois comme  outil polyphonique, quand il devient impossible de ne retenir qu'une version des faits et qu'il faut juxtaposer  les vérités et sans doute comme instrument de mise à distance d'un sujet dévastateur. Narration parfaitement construite et maîtrisée voici un livre très profond, poétique et courageux  où  l'auteur s'adresse avant tout à l'intelligence du lecteur et d'une infinie tendresse pour cette mère " devenue cette femme fragile, d'une beauté singulière, drôle, silencieuse, souvent subversive, qui longtemps s'est tenue au bord du gouffre, sans jamais le quitter tout à fait des yeux, cette femme admirée, désirée, qui suscita les passions, cette femme meurtrie, blessée, humiliée, qui perdit tout en une journée et fit plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, cette femme inconsolable, coupable à perpétuité, murée dans sa solitude."
Mêlant la vie à l'écriture, ce roman est aussi une sorte de document sur la genèse d'une écriture et sur le travail romanesque en train de se réaliser. " L'homme que j'aime ( et dont j'ai fini par croire qu'il m'aime aussi ) s'inquiète de me voir perdre le sommeil à mesure que j'avance dans l'écriture. J'essaie de lui expliquer que c'est un phénomène normal ( rien à voir avec le fait que je sois égarée dans un exercice d'un genre nouveau, rien à voir avec le matériau que je manipule, cela m'est arrivé pour d'autres livres, de pures fictions, etc.) Je joue les fières-à-bras, balaie les sollicitudes d'un revers de main. 
La peur suffit-elle à se taire ? "
A mon avis il s'agit d'un roman incontournable de la rentrée littéraire. J'aime cette écriture exigeante mais sans aucune prétention, humble presque. Il fait partie de la première sélection du prix Goncourt et constitue  un jalon important du trajet de l'auteur dont j'avais déjà pu apprécier le précédent roman  Les heures souterraines. Elle est également l'auteur de No et Moi adapté au cinéma par Zabou Breitman et que j'avais trouvé un peu plus faible. Pour clore cet article un peu long qui m'a été dicté par mon enthousiasme pour ce livre, j'en citerai la première et la dernière phase pour le plaisir de revenir encore à cette écriture.

Première phrase : Ma mère était bleue, d'un bleu pâle mêlé de cendre, les mains étrangement plus foncées que le visage, lorsque je l'ai trouvée chez elle, ce matin de janvier. Les mains comme tachées d'encre, au pli des phalanges."
Dernière phrase: " Lucile est morte comme elle le souhaitait: vivante. Aujourd'hui, je suis capable d'admirer son courage. "

1 commentaire:

  1. Et je suis heureuse d'apprendre en ce 1 juin que ce roman que j'avais adoré lors de sa parution, vient de gagner la 43e édition du prix des lectrices de Elle. Biblire

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